Parano moderne

Pourquoi ?

Depuis plusieurs années, l’opposition à la terre plate s’organise. Pourquoi ? Pourquoi passer du temps – certains diront « gaspiller » — à répondre aux platistes ? Pourquoi produire des textes, répondre sur Facebook, suivre untel ou untel, créer des vidéos, y mettre des effets spéciaux, de la 3D et parfois de la belle musique. Pourquoi chercher la bonne photo ? Pourquoi passer des heures à se renseigner, fouiller, chiner, construire des réponses cohérentes, s’instruire soi-même pour une poignée de « croyants » de la terre plate ?

Parce que !

Parce que, comme illustré sur le schéma de pensée, la croyance en une terre plate n’est pas anodine ou juste rigolote. Les implications de cette croyance vont bien au-delà du rejet du modèle standard. C’est le rejet de toute la société qui se cache insidieusement derrière. Sur le célèbre schéma la terre est plate donc la NASA nous ment, donc le gouvernement nous ment, donc l’école nous ment, donc, donc, donc… se construit non seulement un rejet, mais bien plus. C’est sombrer ouvertement dans la paranoïa. Remettre en question tout ce qui est dit avec des excuses à l’emporte-pièce telles que « information mainstream », « Mensonge d’état », « Secret des Illuminati », « Manipulation des masses ». Le complotiste est amené non pas à réfléchir, mais d’abord à rejeter, sans passer par l’étape essentielle du doute.

Ceux-là même qui se proclament des chercheurs de vérité© sont très loin de cette même vérité. Quelque élément contredit leurs idées : rejet. Une évidence absolue surgit ? Rejet. Une ombre sur un objet, un pixel mort sur une vidéo ? Une trace dans le sable ? Complot ! Preuve ultime qu’on nous ment ! La Vérité révélée ! Ça n’a pas l’air grave vu comme ça. Une poignée de croyants qui s’agite et fait un peu de bruit… Bof !

Sauf que…

Sauf que ce n’est pas juste une poignée d’illuminés. C’est un réservoir. Un réservoir de contestataires nihilistes sectaires et souvent antisémites. Pour faire une expérience, après avoir créé un profil sur FaceBook et s’être inscrit à quelques pages platistes, après 3 semaines à dispenser quelques pouces bleus, c’est plus de 250 invitations très partisanes qui ont été reçues.

De tout ? Non, juste des invitations à plonger plus profond dans le complot de la terre plate, des invitations à rejoindre des groupes obscurs centrés sur des églises, des mosquées, des gourous auto-proclamés. Et ça vient de partout. Bien qu’ostensiblement en français, les messages arrivent en anglais, en espagnol, en arabe, en russe et ne portent qu’un seul message : Une nouvelle recrue potentielle ! Chouette !

Il y a de toute évidence une réelle menace sectaire derrière tout ça. Nous ne sommes plus à l’échelle du petit Nenki qui veut vendre ses colliers pour assurer son niveau de vie, ce n’est plus du domaine du paranoïaque qui a sombré définitivement en remettant en cause carte après carte la disposition d’un monde dont il ignore tout. Nous en sommes à du recrutement de benêts (mouton étant le terme consacré) afin de faire grossir le parc, leur soutirer quelque argent, en faire des relais de propagande, répandre la croyance de l’incroyance.

Et puis…

Et puis il y a les dérives les plus répugnantes, celles à l’attention des enfants. Comme il est très difficile de promouvoir la terre plate publiquement, les holibrius de tout poil se rabattent sur les petits cercles fermés des amis et de la famille. Aussi discrets que des pédophiles en mal d’aventures, ils agissent sur les enfants de leur entourage, souvent même, les leurs.

Est-ce un danger ?

Évidemment.

Ce « mouvement » platiste, sous des airs d’imbéciles heureux, est en réalité un joli piège qui tire vers le bas toute personne qui s’y laisse prendre. Que ce soit à un moment difficile de sa vie, en rupture scolaire ou sociale, après un échec… la victime de ce mouvement sera inexorablement tirée vers le bas et la paranoïa, entraînant avec lui son entourage, si ce dernier se laisse faire. À trop vouloir être reconnu, cependant, l’apprenti platiste s’isole, s’éloigne et sa situation empire. Seules restent les victimes potentielles les plus accessibles : les jeunes.